Pendant des heures, la France a rendu un dernier hommage à son chanteur le plus populaire. Une journée suivie étape par étape par les chaînes de télévision.

C’était un silence incroyable, monumental, national, interminable, follement doux, tendre. Une minute, une heure, presque une journée de silence rempli des guitares des musiciens de Johnny, des cris des fans parfois, des pleurs discrets. Sans un mot. A nous laisser sans voix. Qui l’aurait cru, que les chansons de Johnny sans ses mots, sans son timbre, sans lui, nous donneraient cette sensation d’être en osmose totale avec lui, avec son âme ?

Julian Bugier, le présentateur qui a tenu l’antenne pendant six heures sur France 2, de 9h30 à 15h30, l’a compris très tôt, et c’est pourquoi on est resté plutôt avec lui après avoir zappé un peu partout, pour sa capacité à se taire : « Je pense que c’est un moment qui peut se passer de commentaires » a-t-il lancé tout à trac, mettant fin au bla-bla ambiant, alors que Jean-Louis Debré avait qualifié Victor Hugo de « prince des poètes » et Johnny Hallyday de « prince de la musique ».

Les trois mains de Laeticia, Jade et Joy

C’était trop, inutile surtout alors qu’on avait déjà plongé la tête la première et sans respirer dans les grands fonds des émotions les plus intimes et universelles. Le bruit presque imperceptible d’une moto qui suit le cercueil blanc comme un panache au ralenti. Les moteurs chuchotent, comme en recueillement. Une voiture noire et par la vitre arrière, Laeticia réconfortant Joy. La longue étreinte de Laeticia avec Brigitte Macron, avant puis après la cérémonie à la Madeleine. Les trois mains de Laeticia, Jade et Joy l’une sur l’autre, comme un jeu mais ce n’était pas un jeu. La larme de Vincent Lindon, une seule goutte en gros plan. Nathalie Baye dans les bras de Sylvie Vartan.

L’immense Jean Reno assis à côté de la petite Joy, et c’est elle qui le fixe pour savoir si le parrain de sa soeur tient le coup. Les trois derniers Présidents et leurs compagnes, côte à côte. Claude Lelouch qui, avant d’entrer, filme avec son portable. Ces enfants dont les deux plus jeunes filles du chanteur qui déposent une bougie sur le cercueil. M qui l’embrasse. Lui et ses « frères » guitaristes en mémoire de notre père Johnny : Yarol Poupaud, Yodelice et Robin Le Mesurier, et leurs instrumentaux beaux comme des requiems pour un fou d’amour. Ces très longues séquences sans paroles, au son du violoncelliste Gautier Capuçon et du pianiste Yvan Cassar, d’images de recueillement devant le cercueil, d’une intensité muette.

Une mise en scène cathodique

Icône est bien synonyme d’image, la mise en scène cathodique le démontrait dans une captation réalisée de manière virtuose par Serge Khalfon et Gilles Amado pour les chaînes, à ces dernières après de choisir leurs angles, points de vue en extérieurs ou en intérieurs et commentaires.

Marie, Madeleine, la chanson, l’église. On y croyait, croyant ou pas. Ces prières de Marion Cotillard, Sandrine Kiberlain, Carole Bouquet.Ces gueules surtout. On n’avait jamais pensé à « Ma gueule » où « chaque heure saignée y est ridée » comme ça, la chanson de ces tronches, trognes magnifiques de fans en gros plan dans le froid. Johnny parlait d’eux, plus que de sa gueule d’ange à lui. L’écran multiplié, souvent« splitté » en deux ou en quatre -sur France 2- ou en trois -sur TF1- pour accélérer les visions, les sensastions, permettaient d’associer les anonymes dehors et les grands noms dedans, en même temps à l’image. Avec des coupures de rythme, des plans plus lents, méditatifs, nécessaires.

Non, il ne fallait pas trop parler. Nolwenn Leroy avait rétorqué à la reporter de France 2 qui disait ne pas l’entendre devant l’église à cause du bruit : « C’est pas du bruit, c’est de la musique. Ce sont les fans qui chantent ». Autant les écouter. Franz-Olivier Giesbert nous a fait sourire : « Le miracle Johnny, c’est aussi que des macronistes et des Insoumis sont ensemble dans la foule ». Communion, religieuse ou pas. « Il a appris à s’aimer. II ne croyait plus à grand-chose » : Philippe Labro, qui a pris la parole à la Madeleine, a rapporté cette confidence de Laeticia, sur sa rock-star en pleine déprime quand elle avait fait sa connaissance.

Et si on avait appris à l’aimer, nous aussi, les fans de la première mais aussi de la dernière heure ? Didier Varrod, sur France 2, l’a dit très justement : « Cette journée montre l’importance extrême de la musique, de la chanson dans la vie des gens ». Ses obsèques ont été aussi longues, aussi hallucinantes que ses concerts. Je te promets, Johnny, c’était vraiment « des heures incandescentes et des minutes blanches ».

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Journaliste et animatrice radio, je publie sur le site actumusique.fr notamment dans les rubriques actualités et concerts.